Au cours des dernières décennies, avec une tendance croissante à la privatisation des services essentiels, à la déréglementation économique générale et à l’intensification de la mondialisation des chaînes d’approvisionnement, nous avons assisté à la croissance constante de l’influence économique des sociétés transnationales (STN). En termes de revenus annuels, 71 des 100 plus grandes entités économiques du monde sont des STN, les autres étant des États. Ce pouvoir économique se reflète dans l’influence politique sans précédent exercée par les STN à l’échelle mondiale.
Cependant, ce processus ne s’est pas accompagné du développement d’instruments normatifs contraignants au niveau mondial qui établissent la responsabilité des STN dans le domaine des droits de l’homme et de la protection de l’environnement, et l’accès à la justice et aux recours pour les populations affectées par les activités de ces entreprises n’a pas été garanti.
De la financiarisation du logement à la pollution de l’environnement urbain, en passant par la privation du droit à l’eau ou les impacts de la gig economy, comme la précarisation croissante des conditions de travail, les mouvements sociaux et les autorités locales sont de plus en plus confrontés aux violations des Droits Humains découlant du pouvoir des entreprises. Bien que des progrès aient été réalisés aux niveaux national et régional (par exemple, en France, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, dans l’UE, en Australie, au Canada et dans d’autres pays), il manque toujours un cadre international solide pour lutter contre l’impunité des sociétés transnationales en matière de droits de l’homme et de protection de l’environnement.
En 2014, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a créé un Groupe de Travail Intergouvernemental à Composition Non Limitée chargé d’élaborer un traité contraignant pour réglementer les activités des sociétés transnationales et autres entreprises en matière de droits de l’homme. Depuis lors, chaque année, les États sont invités aux Nations unies à participer à un nouveau cycle de négociations sur le traité. Un traité des Nations unies permettrait aux États de s’entendre universellement sur les éléments qui régissent le comportement des sociétés transnationales dans le cadre du droit international des droits de l’homme, et jetterait les bases d’un accès effectif à la justice pour les communautés affectées.
Le rôle des villes et des gouvernements locaux
Le groupe de travail se prépare à examiner le troisième « draft » de traité du 25 au 29 octobre pour sa Septième Session. En tant qu’acteur clé depuis le début du processus vers le Traité contraignant des Nations Unies, la Campagne mondiale pour reconquérir la souveraineté des peuples, démanteler le pouvoir des entreprises et mettre fin à l’impunité (Campagne mondiale), une coalition de 250 mouvements sociaux, organisations de la société civile, syndicats et communautés affectées, a publié une analyse très critique du troisième projet à venir, avertissant qu’il s’éloigne de leurs demandes critiques.
Les villes sont en première ligne des défis les plus urgents d’aujourd’hui, face à la crise climatique et à l’accroissement des inégalités dans le monde. Les collectivités locales du monde entier s’engagent de plus en plus à faire progresser les Droits Humains et le Droit à la Ville. Cependant, l’absence de réglementation d’acteurs clés tels que les sociétés transnationales entraîne des distorsions importantes dans l’accès aux Droits Humains pour de nombreux citadins, du Droit au Logement au Droit à l’Eau en passant par le Droit à un Environnement Sain, parmi beaucoup d’autres.
Dans le même temps, les villes et les communautés unissent leurs forces par le biais de réseaux et d’initiatives communes, augmentant les espaces démocratiques locaux et construisant des alternatives concrètes aux modèles de développement économique et urbain actuels qui renforcent l’exclusion et les inégalités. En 2020, l’« Appel aux autorités locales pour soutenir le traité contraignant des Nations unies » a été publié, soulignant leur intérêt pour un traité ambitieux.
Cet engagement a été renforcé en juin 2021 lors d’un événement conjoint organisé par le CCFD-Terre Solidaire, la Campagne mondiale pour la reconquête des peuples, le démantèlement du pouvoir des entreprises et la fin de l’impunité, la Plateforme Globale pour le Droit à la Ville et la Commission de CGLU sur l’inclusion, la démocratie participative et les droits de l’homme, à l’occasion de la 47e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies. L’événement a rassemblé des représentants d’autorités locales, comme celle de Grenoble, et des organisations communautaires du Sud et du Nord, afin de mettre en lumière les impacts des sociétés transnationales au niveau local et les possibilités offertes par l’adoption d’un traité contraignant des Nations unies dans la perspective du droit à la ville.
Alors que la troisième version du traité est en cours d’examen et de discussion, nous encourageons les collectivités locales et les organisations de la société civile du monde entier à rejoindre la coalition pour soutenir le traité en tant que mécanisme concret permettant de lutter contre l’impunité des entreprises et de protéger efficacement le droit à la ville dans leurs communautés.