Nous, mouvements sociaux, organisations de la société civile et des gouvernements locaux, sommes engagé-e-s auprès de la justice sociale par la promotion, la défense et la réalisation de tous les Droits de l’Homme liés à l’Habitat, y compris le Droit de l’Homme à un Logement convenable, à la Terre et le Droit à la Ville dans toutes les régions du monde.
Le 1eroctobre 2018, jour désigné par les Nations Unies comme étant la Journée mondiale de l’Habitat, nous avons réfléchi sur la situation de nos établissements humains et sur les Droits de l’Homme liés à l’Habitat. La Journée mondiale de l’Habitat visait à «rappeler au monde que nous avons tous le pouvoir et la responsabilité de façonner l’avenir de nos villes et villages», mais aussi notre avenir dans l’Habitat humain au sens plus large.
Le 31 octobre, nous avons célébré la Journée mondiale pour le Droit à la Ville, réinterprétant la dénomination par les Nations Unies en Journée mondiale des villes. Nous comprenons le Droit à la Ville comme le Droit de tou-te-s les habitant-e-s, présent-e-s et futur-e-s, permanent-e-s et temporaires, d’habiter, d’utiliser, d’occuper, de produire, de transformer, de gouverner et de jouir de villes, de villages et d’établissements humains justes, inclusifs, sûrs, durables et démocratiques, définis en tant que biens communs essentiels pour jouir d’une vie dans la dignité et la paix.
Le 10 décembre, nous célébrerons la Journée des Droits de l’Homme et saisirons cette occasion pour dénoncer les violations des Droits de l’Homme et renforcer le lien entre les Droits à l’Habitat, le Droit à la Ville et les Villes des Droits de l’Homme.
Contexte
À Paris, il y a 70 ans aujourd’hui, les États membres des Nations Unies ont affirmé que «Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits». Plus tard, en 1966, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté deux traités internationaux qui seraient le fondement permanent du développement des Droits internationaux de l’Homme: le Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels (PIDESC) et le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP). Ces deux pactes, ainsi que la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, ont formé la Charte internationale des Droits de l’Homme, constituant le Droit de naissance de tous les Etres Humains.
En 1996, les États ont soutenu le Programme pour l’Habitat, qui promettait «une approche régionale et intersectorielle dans laquelle l’accent serait mis sur les liens ville/campagne, les villages et les mégalopoles étant considérés comme les deux pôles d’un écosystème unique»[1]. Les gouvernements se sont ensuite engagés à «redoubler d’efforts pour éliminer la pauvreté et la discrimination, pour défendre et faire respecter tous les droits de l’homme et les libertés fondamentales pour tous et pour répondre aux besoins essentiels — éducation, nutrition, services de santé pendant toute l’existence et, en particulier, un logement convenable pour tous»[2].
Depuis lors, d’autres approches ont contextualisé les Droits de l’Homme et les obligations correspondantes des États, dans toutes les sphères de gouvernement, ajoutant la dimension de justice spatiale aux Droits de l’Homme déjà codifiés.
C’est le cas de la Charte Européenne de 1998 de sauvegarde des Droits de l’Homme dans la ville (Article 1): «La ville est un espace collectif appartenant à tous les habitants qui ont le droit d’y trouver les conditions de leur épanouissement politique, social et environnemental tout en y assumant leurs devoirs de solidarité».
Dans le même ordre d’idées, la Charte-Agenda Mondiale des Droits de l’Homme dans la Cité de 2011 affirmait que « Tous les habitants de la Cité ont droit à une Cité constituée en tant que communauté politique qui se doit d’assurer des conditions de vie adéquates à toutes et à tous, et qui garantisse le “bien vivre ensemble” pour tous les individus ainsi qu’entre les dits habitants et l’autorité locale ».
Dans la Déclaration de Gwangju sur la ville des Droits de l’Homme de 2011, les villes des droits de l’homme sont définies comme «à la fois une communauté locale et un processus sociopolitique à l’échelon local dans lesquels les droits de l’homme, en tant que valeurs fondamentales et principes directeurs, jouent un rôle essentiel». « Ville des Droits de l’Homme » signifie également, dans la pratique, que tous les habitant-e-s, sans distinction de race, de sexe, de couleur, de nationalité, d’ethnie ou de statut social, et en particulier les minorités et tout autre groupe vulnérable, socialement fragile et marginalisé, peuvent participer pleinement dans les processus de prise de décision et de mise en œuvre des politiques qui affectent leur vie conformément aux principes des Droits de l’Homme tels que la non-discrimination, l’état de droit, la participation, l’autonomisation, la transparence et la responsabilité.
Cette définition des villes des Droits de l’Homme concerne directement quatre des huit composantes du Droit à la Ville, à savoir une ville/un établissement humain exempt de discrimination, fondé sur l’égalité de genre, la citoyenneté inclusive et sur la participation politique accrue.
En tant que Droit collectif, le Droit à la Ville contribue à l’intégration et à la contextualisation de tous les Droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels et environnementaux, tels qu’ils sont inscrits dans les traités et instruments internationaux relatifs aux Droits de l’Homme.
L’application du Droit à la Ville exige le respect, la protection et la réalisation de tous les Droits de l’Homme, sans exception, ainsi que des principes et des Droits spécifiques que ce Droit envisage: les fonctions sociales de la terre, de la propriété et de la ville; la lutte contre la discrimination socio-spatiale; des espaces publics de haute qualité; et des liens urbains-ruraux[3]durables et inclusifs. En ce sens, la perspective du Droit à la Ville cherche à opérationnaliser les Droits de l’Homme dans leur contexte d’Habitat humain.
Défis contemporains
Les personnes et les communautés du monde entier sont vulnérables aux violations du Droit de l’Homme à l’Habitat, lesquelles prennent souvent la forme d’expulsions forcées, de négation d’accès aux ressources naturelles, de saisie de terres ou de non-reconnaissance du Droit fondamental à un Logement convenable, aux services de santé, à un travail décent, à l’énergie, ou à la participation publique, entre autres. Les persécutions idéologiques et religieuses et la marginalisation des femmes, des populations indigènes et des minorités font également partie des violations les plus courantes, en augmentation dans de nombreuses régions du monde.
Déjà lors de la Conférence Habitat de 1976, le Plan d’Action de Vancouver avait averti que «les idéologies des États se reflètent dans leurs politiques en matière d’établissements humains. En tant que puissants instruments de changement, cela ne doit pas être utilisé pour déposséder les gens de leur terre ni pour enraciner privilège et exploitation»[4].Néanmoins, les formes contemporaines de discrimination se sont combinées aux tendances historiques qui ont conduit à des violations du Droit au Logement et à la Terre: elles peuvent être trouvées dans les paradigmes de développement excluant; le déni de sécurité de tenure; l’absence de reconnaissance juridique des Droits collectifs à la Terre et aux autres ressources naturelles; la diminution de l’aide au logement social; l’accès discriminatoire au crédit; la privatisation des services de base; et les prêts hypothécaires prédateurs, entre autres. Une «éthique de la privatisation» soumet de façon de plus en plus dominante l’accès à un Logement convenable et à la Terre à la course aux revenus, générant de nouvelles formes de discrimination. Ceci est intolérable, en particulier compte tenu des obligations des États et des villes de respecter, protéger et réaliser le droit fondamental à un Logement suffisant et à la Terre. Il est de plus en plus urgent d’appliquer des méthodes de gouvernance fondées sur les Droits de l’Homme dans la gestion de l’urbanisation et des migrations, en particulier dans la mesure où de plus en plus de personnes trouvent refuge dans les villes, fuyant la guerre, l’occupation, la paupérisation rurale, la famine et les catastrophes.
Face aux tendances actuelles des violation des Droits de l’Homme dans le monde, nous lançons cet appel urgent aux Nations Unies, à tous les États et à leurs gouvernements, aux institutions internationales, régionales, nationales et locales, aux organisations de la société civile et aux habitant-e-s pour qu’ils et elles mettent en œuvre les mesures préventives et correctives fondées sur l’approche des Droits de l’Homme et adoptent le Droit à la Ville dans un Habitat des Droits de l’Homme comme cadre commun respectant les engagements politiques globaux visant à relever les défis de notre temps, avec égalité des droits pour les femmes et les hommes, et s’efforcent à atteindre le progrès social et l’amélioration des normes de vie dans une plus grande liberté pour toutes et tous.
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[1]Rapport de la Conférence des Nations Unies sur les établissements humains (Habitat II, par. 104, A/CONF.165/14, 14 Juin 1996: http://undocs.org/fr/A/CONF.165/14
[2] Rapport de la Conférence des Nations Unies sur les établissements humains, op. cit., Article 7.
[3] Les liens entre zones rurales et urbaines doivent être compris comme un processus dumétabolisme de l’habitat, une vision qui aborde et traite les établissements humains et les territoires en tant qu’organisme vivant en cherchant à les soutenir.
[4] Plan d’Action de Vancouver, A/CONF.70/15, 11 Juin 1976, Préambule, par. 3: http://www.hlrn.org/img/documents/The_Vancouver_Declaration_19761.pdf